Je suis assise à ma place et je regarde le paysage défiler à la même vitesse que le tourbillon de pensées qui s’agite dans mon esprit. Je ne sais pourquoi je le fixe si intensément. Peut-être que j’ai l’impression que mes pensées se perdront dans l’air si je me concentre de plus en plus fort sur l’extérieur… Qu’elles s’envoleront rejoindre la bise et se dissiperont pour laisser résonner un écho dans ma tête que je n’ai plus entendu depuis bien longtemps…
Je me mets ensuite à observer les autres passagers. Grave erreur, mon esprit commence à se perdre à nouveau si bien que cela m’en donne le vertige. J’observe tous ces visages, toutes ces expressions, ces attitudes et j’entends toutes ces rencontres spontanées et ces coups de téléphone. Je réalise dès alors toutes ces vies que je croise dans l’espace d’un trajet. Toutes ces âmes dont j’entrevois la vie le temps d’un voyage en train.
Je vois un homme vêtu d’un habit de travail légèrement sale et abîmé. Ses yeux sont perdus dans les détails du siège en face de lui. Il croise mon regard et aussitôt tourne la tête pour ensuite jeter un oeil dans ma direction. Son regard est fuyant et son expression plutôt timide. Un vieux monsieur s’asseoit à côté de lui. Il sort de la nourriture de son sac et s’apprête à déguster son repas lorsque le voyageur qui avait retenu mon attention lui tend une bière en lui disant que son souper serait plus agréable accompagné de la boisson mousseuse. Malgré les protestations de l’aîné, la bière est désormais la sienne et il n’a plus le choix. Je ne peux m’empêcher de sourire et le voyageur d’en face, comme heureux de voir son geste reconnu par autrui me sourit avec humilité.
Je perds à nouveau mon regard en direction de la vitre, qui a présent se fait nettoyer par les larmes du ciel. Un bruit métallique détache mes yeux des gouttes qui ruissellent et je vois une pièce de 2 francs posée en face du bon samaritain. Le vieux monsieur se lève de son siège et lui sourit tout en faisant un geste de son bras pour le dissuader de refuser son offre. Le voyageur assis en face de moi range sa pièce et s’assoupit doucement dans son siège. Le train s’arrête, je suis arrivée. J’ai vu la destination du billet de l’homme endormi, je sais que je n’ai pas besoin de le réveiller… Il en a encore pour longtemps. Je ressens certaines émotions tout en le regardant dormir avant de partir… de l’attendrissement ? De l’inquiétude ? Va-t-il se réveiller à temps et sortir du train quand il le faudra ? Mais je n’ai pas le temps de m’attarder à ces réflexions plus longtemps, voilà que c’est bientôt à mon tour d’atteindre la porte du train.
J’ai l’impression d’avoir commencé un livre et que ma lecture se trouvait interrompue pour toujours. L’histoire de la vie de cet homme ne peut m’être dévoilée plus que ça, il va la continuer seul, sans mon regard intrusif. Je sors alors du train et jette un dernier regard par la fenêtre à ce voyageur dont je ne sais pas le nom.
Ce n’était rien qu’un geste de partage d’un voyageur; ce n’était rien qu’un simple voyage en train.